À l’aube des indépendances, les États africains ont redoublé d’efforts afin de bâtir des régimes forts et d’œuvrer à la consolidation de leurs nations respectives. Dans cette perspective, les médias étaient perçus comme de puissants instruments permettant d’accélérer les processus de construction nationale tout en permettant une entrée dans la modernité. C’est ainsi que dès leurs débuts, des pays comme le Nigéria, le Congo (Brazzaville) ou encore le Gabon ont entrepris des démarches pour acquérir leur propre réseau de télévision. Tout comme la radio – déjà présente dans la majorité de ces pays du fait de la colonisation – la télévision était non seulement appréciée pour sa capacité à s’adresser au plus grand nombre en tant que média de masse, mais aussi car elle était considérée comme un « critère » d’indépendance pour ces jeunes nations, selon l’expression employée par Tudesq.[1]
Pour toutes ces raisons, dès son indépendance en 1960, le Sénégal ne tarda pas à s’engager dans cette course à la modernisation et à mettre en œuvre les démarches nécessaires à la mise en place d’une télévision nationale. Le pays put notamment compter sur l’aide de son ancienne métropole, la France, pour l’ensemble des aspects techniques, le financement, ainsi que la formation de son personnel. Cette aide passa notamment par le biais de l’OCORA[2] qui possédait un studio-école situé à Maisons-Laffitte proposant des formations dédiées aux professionnels de l’audiovisuel.
L’objectif affiché par le gouvernement était de mettre en place une télévision au service de la démarche de construction nationale. Malick Fall, ministre de l’Information, déclarait à ce titre dans les lignes du quotidien Dakar-Matin le 29 janvier 1962 : « Il ne s’agit pas en effet pour nous de faire de la télévision un loisir de luxe pour les habitants des centres urbains, mais bien, un instrument d’éducation mis au service, par la réception collective, du paysan sénégalais ». Cette propension à miser sur l’éducation et la culture était une tendance que l’on retrouvait dans les autres pays africains et plus largement dans l’ensemble de pays du Sud indépendants.
En 1961, des plans d’action[3] avaient été proposés au Sénégal par le Groupement d’Études de la Télévision[4]. Le premier plan consistait à couvrir l’ensemble de la presqu’île du Cap-Vert ainsi que les grandes villes du bassin arachidiers, comme Thiès ou Diourbel, soit près de la moitié de la population de l’époque. La seconde option, moins ambitieuse, devait permettre de couvrir Dakar et le reste de la presqu’île du Cap-Vert. Cela représentait environ 400 000 personnes, sur une population s’élevant à 4 000 000 au total.[5] Jugée plus raisonnable au vu des fonds dont disposait le Sénégal, c’est cette-dernière option qui fut retenue en mai 1962.
Alors que le pays semblait prêt à inaugurer sa télévision le 24 décembre 1962, le projet connu un coup d’arrêt brusque suite à la crise politique du 17 décembre 1962[6]. Si cet évènement est souvent la principale raison invoquée pour expliquer cet échec, il apparait que le projet a été avorté principalement pour des raisons économiques[7]. Cependant, un an plus tard, le projet de télévision connu un second souffle avec la signature d’un accord avec l’UNESCO portant sur la mise en place d’un projet pilote utilisant la radio, la télévision et le cinéma à des fins éducatives. Destiné à un public bien plus restreint – une centaine d’adultes issus du milieu ouvrier vivant dans Dakar et sa banlieue – ce projet-pilote permit au Sénégal de bénéficier d’une première expérience avant les débuts de la télévision nationale en août 1972.
Figure 1. Croquis du premier projet d’équipement de la télévision sénégalaise (Source : Fonds du Sénégal contemporain, Archives nationales du Sénégal).
[1] Tudesq, André-Jean. L’Afrique noire et ses télévisions. Anthropos/INA, 1992, p. 47.
[2] Office de Coopération Radiophonique.
[3] D’après un article du Moniteur Africain du Commerce et de l’Industrie, en date du 15 décembre
1962.
[4] Le Groupement d’Études de la Télévision était composé de la CSF (Compagnie de Télégraphie sans Fil), la Thomson-Houston, la RTF (Radiodiffusion-Télévision Française), l’OCORA ainsi que la SODETE (Société pour le Développement de la Télévision), le tout sous la tutelle du ministère de la Coopération français.
[5] Ba, Abdoul. Télévisions, paraboles et démocraties en Afrique noire. Paris : L’Harmattan,
1996.
[6] Mamadou Dia, alors Président du Conseil, fut accusé de vouloir fomenter un coup d’État.
[7] Article de l’AFP dans son « Spécial Outre-Mer » (30 juin 1963) : « Le Sénégal renonce momentanément à la télévision ».
Ce billet reprend des éléments du mémoire d’Awa I. Ndiaye “Quand le petit écran sert de grands desseins : télévision et construction nationale au Sénégal (1962-1992)”, Master 2 “Histoire, Civilisation, Patrimoine”, Université Paris Cité, dirigé par Odile Goerg et Didier Nativel et soutenu en 2020.
